Dernière visite avant le départ

Bien que réticent, Nasudis accéda à la requête d'Eöl et alla le voir le lendemain. Il devait faire vite, car le départ était pour bientôt. Il détestait les audiences par-dessus tout, car il fallait toujours s'incliner devant un personnage important et feindre le respect, voire l'admiration. Nasudis savait mentir et jouer le jeu, mais s'abaisser ainsi devant un être aussi abject le répugnait. Au moins, le roi de Thargélion était un gamin, ce serait plus amusant. Il parla d'une voix grinçante, sans pour autant faire trop paraître son ennui.

"Vous avez demandé à me voir, Majesté ? Et à me parler seul à seul ? Que se passe-t-il ?"

Eöl était à sa fenêtre lorsque Nasudis entra : se retournant, il dévisagea longuement le jeune elfe, dont irradiaent en égales mesures haine, ennui et irrespect. Il réprima un sourire intérieur, songeant que cet elfe l'amusait, lui rappelait sa propre conduite à la cour de Doriath, lorsqu'il était plus jeune...

Alors que Nasudis attendait réponse à sa question, Eöl détourna le regard de sa fenêtre ouvrant vers un extérieur enneigé, prit une profonde inspiration, avant de répondre d'un ton égal, et mesuré :

"Je t'ai fait venir pour préciser les objectifs de ton raid, et de te prévenir de récentes nouvelles."

Les mains dans le dos, l'Elfe Sombre fit quelques pas, rassemblant ses pensées, avant de poursuivre d'un ton toujours aussi neutre :

"Nous avons déjà discuté du lieu et de la manière dont tu lanceras ton attaque... Tu a accepté mes assassins pour compagnons. Tu sais également que je déciderai, en voyant les fruits de ton raid, de si tu bénéficieras ou non d'une supériorité sur Arya."

Ayant énoncé ces évidences, le seigneur de Caragdûr aborda de plus importants sujets, la mine sombre, le visage impassible :

"Sache donc que je désire ardemment que tu m'offre quelques esclaves humains à ton retour. Je te laisserai les bons soins du jeune roi de Thargelion, et tu recevras certainement une promotion... en admettant que tu me satisfasses..."

Puis, la voix menaçante, Eöl ajouta encore, et la méfiance irradiait de sa personne :

"Autre chose : je pars aussi ce matin... Tu n'a pas besoin de savoir pour où, mais il t'est déconseillé de tenter quoi que ce soit en mon absence..."

Contrairement à son habitude, Nasudis avait écouté l'Elfe Sombre jusqu'au bout, sans l'interrompre. Il avait enrigistré chacune des informations. Discuter avec Eöl était toujours une affaire extrêmement délicate, et cette discussion était importante. Nasudis devait être très prudent ; qu'il se soit bien débrouillé pour l'instant ne signifiait rien. Il rassembla ses pensées et réfléchit bien avant de prendre la parole.

"Je vous ferai venir des esclaves humain, sire, cela ne fait aucun doute, et je vous remercie de me laisser le petit roi... Seulement, cela risque de prendre du temps. Je veux une victoire complète, par les armes, certes, mais tout d'abord par la ruse. Je montrerai aux humains de quoi nous sommes capableset je leur apprendrai à nous craindre. Vos assassins agiront en premier temps comme gardes du corps. Je veux me faire passer pour un allié fiable et les convaincre de ma "bonne foi", mais si les humains sont moins méfiants et plus stupides que nous, ils ne se laisseront cependant pas berner si facilement. Je vous promets la réussite, Eöl, ainsi qu'un travail bien fait, mais pas la rapidité. Vous pouvez donc partir sans crainte, je ne serai pas de retour avant un certain temps."

Eöl sourit intérieurement : décidément, ce jeune elfe était intéressant, et ne manquait pas d'esprit... Assuré que son allégeance lui était encore acquise, le seigneur de Cragdûr réfléchit mûrement avant de formuler sa réponse, en lui faisant signe que la discussion était close, et qu'ils pouvaient se rendre ensemble aux portes, chacun partant de son côté...

Mais, se retournant instinctivement vers la fenêtre, le seigneur de Caragdûr observa l'aube pointer à l'horizon, baignant de ses douces lueurs orangées les paysages enneigés où vivaient les elfes rénégats, au Nord des Montagnes de l'Ombre. Puis, se retournant vers Nasudis, il parla d'une voix lointaine :

"Le temps n'a aucune incidence sur notre race, tu le sais bien, Nasudis. Seule la fin justifie les moyens."

Et, alors que Nasudis ne semblait pas désirer ajouter quoi que ce soit, Eöl parla à nouveau :

"Je voix que nous sommes d'accord. Descendons aux portes, en ce cas."

Nasudis hocha lentement la tête et accompagna Eöl jusqu'aux portes. Là-bas, il lui fit face et, le regardant droit dans les yeux, lui montra toute la haine qu'il ressentait à son égard. Un jour, pensa-t-il, les rôles seront inversés et ce sera moi qui te regarderai de haut et t'obligerai à ramper à mes pieds.

"Au revoir, Eöl. Soyez prudent... ce serait dommage que quelque chose vous arrive alors que vous êtes loin de nous..."

Eöl exultait : cet elfe était une bénédiction ! Il avait toutes les qualités d'un bon chef... haineux, intelligent, subtil, discret... Soit dit en passant, il ne le serait jamais autant que lui-même. Il convenait simplement de le surveiller d'un oeil attentif, et de s'assurer qu'aucun moment de faiblesse de sa part ne soit inexploité.

Puis, d'un ton énigmatique, Eöl répliqua, méprisant :

"Je ne suis pas mortel."

Hehe, tu crois cela... je te prouverai un jour le contraire...
Nasudis eut un sourire vénéneux et carnassier. Finalement, il s'amusait bien en compagnie d'Eöl. Cela l'aidait à bien réfléchir et à trouver des paroles tranchantes. La lutte s'annonçait acharnée, mais il était prêt à relever le défi et à l'emporter haut la main !

"Eh bien, nous verrons cela... Vous ne pouvez pas savoir à quel point je me réjouis de vous retrouver, Eöl... vous allez vraiment me manquer pendant tout ce temps au Thargélion. Heureusement que j'aurai le petit roi pour m'amuser."

Hoho, tu crois ça... Eöl lisait les sentiments de Nasudis comme dans un livre ouvert, pour les avoir lui-même éprouvés envers son parent Thingol, et envers Turgon de Gondolin lors de son bref séjour à la Cité Cachée.

Emergeant de ses pensées au moment où Nasudis finissait de parler, le seigneur de Caragdûr répondit brièvement et évasivement :

"Oui, nous verrons... J'attend de toi un rapport détaillé à ton retour."

Puis, avec un impersceptible signe de tête à l'intention de Nasudis, Eöl se détourna, et monta en selle. Faisant volter sa monture, l'Elfe Sombre se dirigea vers ses cinq cent cavaliers qui l'attendaient. Puis, d'un signe de la main, il ordonna d'avancer, et la cavalerie s'élança vers le Sud, et le territoire des Nains Rénégats...

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