Se découvrir un frère...

Borric suivait les deux gardes, qui l'emmenaient, au fil des couloirs sans fin, jusqu'aux appartements du jeune roi de Brethil. Ils le laissèrent donc une fois là-bas, refermant la porte derrière eux. Indécis sur la marche à suivre, le jeune homme examina les alentours : pour des appartements royaux, ceux-ci étaient plutôt sobres, bien que très richement meublés. Les murs blancs donnaient une impression de grandeur à la pièce, qui semblait du coup plus vaste. Commençant à se déplacer vers les balcons, Borric observa autour de lui : personne pour le moment... Le roi finirai bien par arriver à un moment ou à un autre.

Deux pas de plus, et il arriva aux balcons : s'appuyant sur la rambarde de pierre, il soupira, et leva les yeux vers le ciel nocturne. Les étoiles étaient déjà bien visibles, lueurs rassurantes dans l'immensité de l'infini. Soupirant à nouveau, Borric baissa les yeux sur le pays de Brethil, face à lui, qui s'étendait, en dehors de la capitale. Le regard dans le vague alors qu'il fixait la Grande Forêt d'un air absent, le jeune homme se demanda pourquoi les orques de Morgoth avaient été poussés sur les contrées alentours : il faisait bon vivre en Brethil, et il ne laisserait pas les séides d'Angband parvenir jusqu'à la capitale... Ou du moins pourrait-il essayer.
Méditant toujours dans la nuit, sur le balcon, Borric baissa les yeux vers la bague qu'il portait à son doigt depuis la mort de sa mère : l'anneau scintillait légèrement à la lueur de la lune. Ce symbole de ses origines lui mit du baume au coeur, et il ferma le poing, décidé. En admettant que Thrunrir le laisse gouverner quelques troupes pour le Brethil, il espérait pouvoir défendre la Forêt, empêchant les orques d'y pénétrer.


Il ne sut jamais combien de temps il resta là, le regard perdu dans les étoiles, à ruminer ses pensées. Mais la lune était déjà bien plus haute lorsqu'il se rendit compte de la présence de quelqu'un à ses côtés. Tournant la tête, il fut frappé par la ressemblance qui s'imposait entre le roi et lui : bien que leur pilosité et musculatures ne soient pas les mêmes, ils avaient chacun les yeux de leurs mères respectives, et le visage de leur père commun. Plongeant son regard dans les yeux bleus de Thrunrir, Borric y lut celui d'un homme juste, dévoué à son peuple et son pays... le souverain idéal pour le Brethil, somme toute.

Détachant son regard de celui de son demi-frère, Borric baissa les yeux vers sa bague, le Sceau de Brethil, qu'il portait au doigt : voyant dans cet objet une motivation, comme une preuve de son ascendance commune à celle du roi, Borric reporta son regard vers le ciel étoilé, et la Grande Forêt de Doriath, à l'est, après le fleuve. Les premiers mots sortirent finalement de sa bouche, comme s'il réfléchissait à voix haute :

"Cela fait une drôle d'impression de découvrir que le roi du pays dans lequel on vit a eu le même père que soi..."


Ce n'était pas une question, seulement une remarque, un simple constat. Mais derrière cette simple évidence se cachaient d'autres sujets moins simples, tels que la place qu'occuperait bientôt Borric dans la hiérarchie de Brethil, et, plus important encore, comment se parleraient les deux frères... comme deux étrangers, comme un roi et un serf, comme deux frères ?

Le roi, qui avait beaucoup a faire pour son peuple, et se faisait passer après lui, avait choisi le soir, car il ne pouvait rien faire de plus utile à ce moment de la journée. Mais les actes qui allaient se dérouler en ce moment aurait peut-être une influence sur le royaume. Il convenait donc d' agir au mieux, non seulement pour lui-même, mais avant-tout pour le peuple.
Borric, fils illégitime de son père le roi, pouvait, comme lui avait fait remarquer Mabrache, son héraut spécialiste des questions politiques et commerciales, se révéler être un héritier potentiel si Thrunrir venait à mourir.
Il convenait donc de décider au mieux, et de ne pas se tromper.

Hélas, Thrunrir sentait que cela serait difficile de faire fi de ses sentiments. Des sentiments qu' il avait du mal à interpréter. D' un côté, il était heureux d' avoir un frère, lui qui était fils unique, bien que n' ayant jamais manqué d' affection.
D' un autre, plus important pour lui, son père avait véritablement trahi sa mère, et cela même juste après sa conception, avant même sa venue au monde. Cela, il douta de jamais pouvoir le pardonner à son père, d' autant que, si son père était impétueux et combattant, sa mère était d' une grande douceur, et avait toujours ignoré cette liaison qu' avait eu l' homme qu' elle aimait avec une autre.
Mais Thrunrir pensa que ce n' était pas la faute de Borric si il était né, ni si son père s' était déshonoré aux yeux de Thrunrir avec une autre. Au contraire, il voulu en savoir plus sur Borric avant d' entreprendre une quelquonce action, afin d' avoir mûrement réfléchi et de ne pas regretter ses actes.
Il parla d' une voix neutre, comme si il commentait le temps qu' il faisait:
"Ainsi, c' est vrai, tu serais mon demi-frère. Borric, c' est cela? Assied toi. Nous avons le temps de parler. Toute la nuit, alors parlons. Raconte moi s' il te plait tes souvenirs de ta mère. Je veux tout savoir d' elle, si ça ne te dérange pas. Après, si tu veux, tu pourras me poser des questions. J' aurais ensuite beaucoup d' autres questions pour toi, mais je crains de ne pas pouvoir toutes te les poser cette nuit. En attendant que nous nous connaissions un peu mieux, tu seras mon invité au palais, et tu auras les appartements de père."

Et Thrunrir, assis sur une chaise de bois, attendit la réponse de Borric.

Hésitant, Borric ne savait trop que faire : extrêmement gêné de parler seul à seul avec celui qu'il considérait depuis quelques années comme son roi, il ne souffla mot, et écouta son seigneur parler sans l'interrompre. Lorsque celui-ci, Borric inspira soudainement, se rendant compte qu'il n'avait pas respiré depuis plusieurs dizaines de secondes.


La question que lui posait son seigneur ne le gênait nullement, néanmoins se demanda-t-il comment lui parler : devait-il utiliser les multitudes d'adjectifs convenant à la royauté, lui parler comme à un frère, ou autrement ? Après quelques secondes de réflexion intense, Borric se décida : il n'avait qu'à ne pas utiliser ce genre de mots avant de savoir... Mais, en parlant de savoir, il allait peut-être falloir qu'il s'informe sur la vérité à propos de cet anneau qu'il avait au doigt...


Légèrement angoissé, le jeune homme releva néanmoins la tête, et, le visage franc, l'expression honnête, commença à répondre à Thrunrir à propos de sa mère et de son passé. Il parlait d'une voix hésitante, composant son récit au fur et à mesure qu'il se remémorait certains souvenirs :


"Elle s'appelait Sirienne... elle est morte il y a peu de temps.

Nous habitions à côté de la forge de Brundal, qui a toujours aidé ma mère question finances lorsqu'il se trouvait que nous manquions d'argent. Lorsque j'étais petit, ma mère avait l'habitude de m'emmener le voir : je me le figurais un peu comme un oncle, comme le père que je n'avais jamais eu...

Lorsque j'ai atteint l'âge de douze ans, Brundal m'a prit comme apprenti à sa forge. Au début, je ne l'aidais pas, je lui amenait ses outils, je portais à l'écard de sa forge ce dont il n'avait plus besoin. En retour, il continuait de nous fournir de quoi vivre. Puis, il y a dix ans, lorsque j'ai eu quinze ans, il m'a appris comment marteler le fer, comment façonner le métal, les rudiments de la forge. J'étais plutôt doué, et j'apprenais vite.

Ma mère, elle, pendant la journée, était à côté de son métier à tisser : elle participait ainsi au revenu final, bien que sans Brundal nous n'aurions pas survécu longtemps après ma naissance..."


Là-dessus, Borric hésita : le jeune roi avait beau être son frère, il ne lui livrerait peut-être pas tous les détails de son passé... Mais puisqu'on le lui demandait... Il reprit alors son récit, d'une voix un peu plus assurée maintenant qu'il avait posé sa personnalité :


"Puis, il y a maintenant cinq ans, Brundal est parti à la guerre contre les orques. Il en est revenu, heureusement, mais il lui manque depuis un bras... Comme il ne pouvait plus manier le marteau et user de la forge comme il le faisait auparavant, je l'ai alors remplacé : j'avais vingt ans. Je forgeais ce dont il avait besoin, et c'est dans cette situation que j'ai finalisé mon apprentissage, car il commentait mon travail, et ma manière de faire, calquée sur la sienne..."


Encore une fois, Borrix s'arrêta. Sourit. Puis reprit d'une voix plus triste, se remémorant de plus récents souvenirs :


"Hélas, cela n'a duré que cinq ans : ma mère allait de plus en plus mal. Elle avait toujours été d'une très grande douceur, très attentionnée. La mère idéale, celle que je pouvais rêver avoir. Parfois, elle s'amusait à m'appeler "Petit Roi", avant que je rentre à la forge... Mais malgré l'amour que je lui portais, et les efforts de Brundal pour améliorer encore le revenu, son état a empiré et... elle avait quarante-cinq ans... C'était il y a sept jours."


Borric s'interrompit : une larme perla à son oeil, avant que le deuxième ne s'humidifie aussi. Clignant des paupières afin de les chasser, il n'ajouta rien, perdu dans les souvenirs, et les tristes évènements de la dernière semaine...

Thrunrir écouta attentivement, sans interrompre son demi-frère. Quand celui-ci sembla avoir terminé son récit, il répondit, après un court instant nécessaire à rassembler ses idées:
"Mais... D' après ce que tu me dis là, ta mère et toi aviez des ennuis financiers? Et père, que sais tu de lui, parle, mais prends ton temps, rien ne presse?"

En entendant ce récit, Thrunrir eu mal, bien qu' il ne le montra pas, étant habitué à être un "bon roi" et a maîtriser parfaitement ses émotions.
Il était plus concentré que jamais sur cette partie de l' histoire de son père qu' il apprenait à travers le récit de Borric, jusqu' alors quasiment inconnue.
Il se rappela alors que le temps était compté, et qu' il devrait prendre une décision sur Borric au plus tôt, si possible pendant la nuit.

Borric se reprit, et releva la tête. Croisant le regard de Thrunrir, le jeune homme réfléchit quelques instants avant de répondre,se demandant quelles intentions se cachaient derrière cette façade de souci du passé d'un demi-frère... Décidant qu'il verrait bien en temps voulu, Borric reprit :


"Elle n'avait pas d'ennuis financiers, avant que je ne vienne au monde... Ensuite, je ne sais pas pourquoi, tout s'est compliqué : je n'aiplus rien compris. Ce qui es certain, c'est que je travaillais en même temps qu'elle afin d'améliorer le revenu..."


Les sourcils froncés, Borric se pencha sur la seconde question que lui avait posé Thrunrir quelques instants plus tôt :


"Je ne sais pas grand-chose de mon père, sinon ce que l'on raconte du roi des terres sur lesquelles on vit... Je ne l'ai jamais vu de mes propres yeux, ou bien seulement deux ou trois fois, et encore, de loin..."

Thrunrir resta un moment sans réactions apparentes, comme absent, pensif à ces paroles, puis il hocha la tête. Il avait pris sa décision, et parla d' une voix claire et grave:
"He bien, Borric, tu n' as pas eu beaucoup de chance jusqu' à présent. Peu de gens à part nous connaissent ta véritable identité. Si tu le veux bien, je vais la faire connaitre, mais seulement en temps voulu, si ce temps arrive un jour. Tu me semble juste et réfléchi, ou du moins "bon", dirais-je. Ainsi, ce sera toi l' héritier si je meurs. Cependant, si je te fais confiance, je ne connais encore rien de tes capacités à gouverner. Et pour rien au monde je ne me risquerais à désigner comme successeur quelqu' un dont je ne suis pas absolument sûr qu' il saura diriger au mieux Brethil. Si tu l' acceptes, je te nomme gouverneur de la forêt de Brethil et de ces habitants. Mabrache et moi vérifierons régulièrement ta manière de gouverner, et si tu te révèles un bon gouverneur, alors je répandrai la nouvelle que tu es mon demi-frère, et tu seras nommé on héritier.
Bien, maintenant, il est temps d' aller dormir. Garde ces appartements: ce sont ceux de père, les appartements royaux. Ils dorénavant seront tes appartements et ta résidence à Ephel Brandir. Fais y comme chez toi, puisque à présent, tu y es chez toi.
Je ne pense pas vouloir de toutes façons me coucher ou vivre dans cet endroit où père a vécu. Ce n' est pas que je ne l' aime pas, mais... Si, ce doit-être cela. Si tu as des questions à me poser, de quelques ordres soient-elles, je suis dans l' aile gauche du palais, dans les appartements qui sont miens.
Une dernière chose, je pars dès cette nuit pour essayer de conclure des alliances avec le Dor-Lomin, et peut-être même avec Hitlum, et reviendrai au mieux dans deux jours. Le royaume sera dirigé en mon absence par Mabrache, mon héraut. Il sait qui tu es et a mon entière confiance. Si tu as un problème, n' hésite pas à le demander."

Et sur ces mots, Thrunrir quitta les appartements royaux de son père, maintenant ceux de Borric, pour rejoindre les siens, qu' il avait toujours occupés depuis son jeune âge, les appartements du fils du roi. Il y resta le temps de se préparer à partir, soit une petite heure, puis chevaucha en direction du Dor-Lomin et d' Hitlum.